Notre ministre s’exprime enfin !

 

Nommé à la tête de notre ministère, il y a déjà plus d’un mois, Pap Ndiaye sort enfin de sa
réserve. A part de nombreux hochements de tête, pour montrer son approbation à tout ce
que le Président de la République disait, lors de son déplacement à Marseille, et une
déclaration aux allures d’évitement, sur le problème des tenues « culturelles » au sein de
l’école laïque, nous n’avions jusqu’ici eu que peu de pistes sur la politique que notre ministre
comptait mener. Nous y voyons maintenant un peu plus clair, même si nous aurions
préféré qu’il commençât par écrire aux enseignants (chose qu’il vient de faire ce 28 juin),
plutôt que de se confier longuement au Parisien (le 25 juin), qui décidément semble être
devenu un organe d’information récurrent de notre administration (cf. les annonces du
ministre Blanquer pour les protocoles, durant la crise sanitaire).
Mais que nous dit exactement M. Ndiaye ?
Tout d’abord, dans l’interview au Parisien, Pap Ndiaye insiste sur les « éléments de
continuité » avec son prédécesseur, aussi bien en ce qui concerne Parcoursup, qui laisse
pourtant des milliers de bacheliers sur le carreau chaque année, qu’en ce qui concerne la
réforme du lycée, qui a tellement bien fonctionné, qu’il a déjà fallu la réviser à plusieurs
reprises (abandon des E3C, retour des mathématiques dans le tronc commun de première,
après les en avoir retirées, etc.). Ce n’est pas forcément ce qui va le plus rassurer les
enseignants de lycée, très touchés par cette réforme faite à la va vite, sans concertation, et
qui n’avait manifestement pas d’autres buts que d’économiser des postes dans des matières
en souffrance et de permettre à encore plus d’élèves d’obtenir le baccalauréat, grâce à un
poids accru du contrôle continu.
Dans ce même interview, le ministre de l’Education Nationale parle ensuite de trois sujets
qui le préoccupent plus particulièrement : la lutte contre les inégalités (« l’école de la
République se débrouille très mal avec les enfants défavorisés ; cette situation n’est pas
acceptable »), « le bien-être des élèves et des équipes éducatives » et l’écologie. Même si
ces sujets sont évidemment très importants, les enseignants auraient sans doute mis en
tout premier la faiblesse du niveau et la non-maîtrise des bases fondamentales de plus en
plus d’élèves, que toutes les études, françaises et internationales, ne cessent de pointer du
doigt.

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Fort heureusement, dans sa lettre « aux professeures et professeurs », le ministre précise
les choses. Il insiste tout d’abord sur le fait que l’ « enseignement est tourné vers les
connaissances » (depuis le temps que nous le martelons, ça fait plaisir à lire), « vers l’estime
de soi et des autres ». Il poursuit en précisant que notre tâche est d’autant plus importante
que nous parlons à des jeunes qui sont « à l’âge où l’on cherche des repères, des
convictions ». C’est bien pour cela qu’il est fondamental, comme nous le disons si souvent,
de restaurer l’autorité des enseignants, pour que nos élèves apprennent à respecter les
règles et à appréhender les limites de ce qui est acceptable ou non. L’enjeu n’est rien moins
que le comportement en société des citoyens et citoyennes de demain, qui passe par le
respect d’autrui et l’acceptation que personne n’est le centre du monde.
Un peu plus loin, M. Ndiaye parle de notre « mission décisive » qui a pour but d’ «élever un
abri contre les préjugés de toutes sortes » et d’« enrayer les replis, qui sont consolateurs
en apparence, dévastateurs en réalité ». Si on veut être optimiste, on pourrait voir là une
volonté de sanctuariser à nouveau l’école, pour qu’elle permette à chaque jeune de
s’épanouir, loin des replis communautaires ou culturels, dans le respect non négociable
des valeurs de la République.
Le ministre de l’Education nationale expose ensuite, dans cette même lettre, les grandes
orientations de la politique qu’il entend mener, en quatre « axes » :
→ « Le premier axe est celui de la lutte contre les inégalités sociales […]. Nous savons que
l’Ecole peine à donner à tous les mêmes chances de réussir. Cette promesse non tenue […]
nous meurtrit, parce que nous sommes dans ce métier pour donner la possibilité à chaque
jeune de s’épanouir ». Et effectivement, les enseignants souffrent de ne pouvoir aider
efficacement leurs élèves et notamment les plus fragiles, dans des classes de plus en plus
surchargées, avec une hétérogénéité qui n’a cessé de s’accentuer. Le chantier, sur ce sujet,
est gigantesque et il est nécessaire pour cela de changer totalement de logiciel. Il faut
mettre fin à la démagogie et remettre en avant le goût de l’effort, le travail et le mérite,
qui devraient être les maîtres mots de chaque enseignant, car ce sont ceux qui mènent nos
élèves sur le chemin de la réussite. Certes, ce ne sera pas facile pour tout le monde et
alors ? Le but de l’école est d’offrir à chaque enfant l’égalité des chances, pour qu’il trouve la
place qui lui convient le mieux, dans la société des adultes ; pas la « réussite » à tout prix,
pour ne pas dire au rabais. Mentir aux élèves, ce que, hélas, on nous demande de faire
depuis des années, ne fait qu’affaiblir les plus fragiles, qui ont besoin de travailler pour
surmonter, avec l’aide de leurs professeurs, les obstacles qu’ils ont devant eux.
→ « Le deuxième axe est l’accent mis sur les savoirs fondamentaux […], savoirs nécessaires
pour aller vers le monde ». C’est une évidence pour tout le monde, mais encore faut-il
donner les moyens aux enseignants de permettre à tous les enfants d’acquérir ces derniers.
Et ce n’est certainement pas en réduisant les moyens, en augmentant les effectifs par
classe, en faisant passer les élèves dans le niveau supérieur sans se poser de question et
sans rien leur proposer d’autre, que nous atteindrons cet objectif. Le collège unique n’a
abouti qu’à un nivellement par le bas et n’a fait qu’accentuer les inégalités contre lesquelles
il prétendait lutter. Peut-être serait-il temps de repenser le système ?

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M. Ndiaye explique ensuite qu’il a « décidé, dès cette rentrée, d’introduire les
mathématiques dans le tronc commun, en classe de première générale, pour donner à tous
les élèves un socle commun de connaissances et de compétences en mathématiques, utiles
à leur vie sociale et professionnelle ». Tout d’abord, rendons à César ce qui lui appartient,
car cette décision avait déjà été prise du temps de son prédécesseur, pour rectifier une
erreur invraisemblable, au XXI° siècle, alors que les mathématiques sont nécessaires dans un
nombre grandissant de formations et de métiers. Il n’est donc pas question, ici, d’introduire,
mais plutôt de réintroduire.
→ « Le troisième axe est le bien-être des élèves […], qui n’est pas antithétique de l’effort et
du travail ». Voilà une phrase qu’il faudrait graver dans le marbre avant que les deux
derniers mots ne disparaissent, pour ne laisser que la notion de bien-être. L’Ecole n’est pas
un centre aéré. Tout ce qu’on y fait ne peut pas être uniquement ludique et agréable.
Réfléchir, se creuser la tête, penser, construire un savoir, rédiger correctement un texte,
tout cela ne peut se faire que par l’effort et le travail. Les apprentissages ne peuvent pas se
faire uniquement à l’école. Pour être exploitables et comprises, les connaissances et les
notions abordées en classe se doivent d’être retravaillées à la maison, or cela n’est plus du
tout d’actualité, dans bien des familles, ce qui contribue à accentuer les inégalités. La tâche
est donc immense.
Le ministre insiste sur le fait qu’il sera « très attentif aux élèves en situation de handicap »
et se dit désireux d’ «améliorer le statut de nos personnels qui au quotidien les
accompagnent et dont le temps de travail partiel est trop souvent subi ». On ne peut
qu’être d’accord, mais après les mots, il faut des actes. Nombre d’élèves en situation de
handicap sont en souffrance, dans des classes surchargées, parce qu’ils ne bénéficient pas
d’un accompagnement digne de ce nom. Le saupoudrage, que l’on observe trop souvent,
permet au ministère de dire que chaque élève à besoins particuliers bénéficie d’une aide,
mais la réalité de terrain est bien différente. Nous avons tous vécu des situations
compliquées, avec des élèves qui ne pouvaient pas se débrouiller seuls et qui pourtant
n’avaient droit à un(e) AESH (et pas toujours la même personne en plus) qu’une heure par-ci
par-là. Ce scandale doit cesser. On n’a pas le droit de mentir à ces élèves et à leurs familles !
Quant à nos collègues AESH, qui font souvent un travail remarquable, il est grand temps de
reconnaître leur investissement, de les payer dignement et de leur donner un vrai statut
qui les protège, en les titularisant !
M. Ndiaye reconnaît par ailleurs que pour permettre à tous nos élèves de s’épanouir, il est
indispensable de « bannir les actes et les paroles de discrimination, de haine raciste,
antisémite, de violence sexiste ou sexuelle ». Et effectivement, l’école doit être un lieu
« sans acte d’intimidation, un lieu laïque ». Il est donc plus que temps de prendre à bras le
corps les problèmes d’incivilités, de prosélytisme, d’atteinte à la laïcité, qui perturbent de
plus en plus le fonctionnement de notre école et d’affirmer haut et fort, sans faillir et avec
fermeté, que les valeurs de la République s’imposent à tous et qu’elles ne sont pas
négociables ! Nous ne demandons qu’à voir, mais il va falloir commencer par mettre fin au
« pas de vague », qui a tellement abîmé la confiance que les enseignants ont en leur propre
hiérarchie, en leur propre institution ; il va falloir réaffirmer l’autorité des professeurs et de

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tous les adultes de nos établissements, pour enfin protéger les plus fragiles de nos élèves,
contre les comportements nocifs et destructeurs de quelques uns. La politique de l’excuse
doit laisser la place à celle de la responsabilité.
→ « Le quatrième axe est l’écologie ». C’est évidemment un sujet éminemment important,
qui est déjà dans les programmes de plusieurs matières et dans différents niveaux. Mais, il
ne faut pas se contenter des programmes. Avant de donner des leçons, l’Education
Nationale devrait commencer par donner l’exemple. Les bâtiments scolaires sont souvent
mal équipés pour résister aux vagues de chaleur et certains sont de véritables passoires
thermiques, l’hiver. Là aussi, le chantier est immense…
M. Ndiaye poursuit sa lettre aux enseignants en affirmant que « Rien ne se fera sans les
professeurs ». Nous ne demandons qu’à voir, mais ce n’est pas du tout ce à quoi nous a
habitués l’Education Nationale, ces dernières années, bien au contraire. On n’a cessé de
nous imposer des réformes que nous savions infaisables ou inutiles, qu’il a d’ailleurs ensuite
fallu abandonner ou abroger. Depuis déjà longtemps, on ne nous écoute plus, on ne tient
plus compte de notre connaissance fine du terrain. Nous ne demandons pas mieux que le
ministre de L’Education Nationale fasse enfin confiance à ses enseignants, à leur expertise,
à leur capacité d’adaptation, à leur inventivité, mais il faut aussi qu’il leur donne les
moyens de faire ce qu’ils savent faire. Travailler en groupe avec près ou plus de trente
élèves, dans des classes souvent trop petites pour accueillir convenablement de tels
effectifs, ce n’est pas possible ! Faire du numérique, avec des ordinateurs d’une autre
génération, qui mettent un temps fou à charger le moindre fichier (ce qui est le vécu de
nombre de collègues, qui finissent par renoncer), ça ne fonctionne pas !
« La baisse continue, depuis plusieurs années, de l’attractivité des concours de recrutement
est un signal d’alarme, la preuve d’une crise qui concerne les conditions de travail, la
représentation sociale du métier », affirme M. Ndiaye. C’est en fait bien plus qu’un signal
d’alarme, car cette crise de recrutement s’accompagne d’une augmentation plus
qu’inquiétante de démissions. Le bateau coule, car les marins quittent le navire, à cause de
conditions de travail qui leur sont devenues insupportables. Le ministre dit vouloir prendre
le problème à bras le corps et nous voulons bien le croire, mais il faut faire très vite et ce
n’est certainement pas les « job dating » qui se multiplient un peu partout, qui apporteront
une solution viable !
La rémunération est effectivement un vrai problème. A force d’avoir gelé le point d’indice,
pendant tant et tant d’années, le pouvoir d’achat des personnels de l’Education Nationale
(et il n’y a pas là que les professeurs) s’est effondré. Alors, oui, il faut augmenter la
rémunération des enseignants, de tous les enseignants et pas seulement des plus jeunes.
D’après les propos du ministre, dans son interview au Parisien, il est prévu une double
rémunération : « La première sera non conditionnée et s’appliquera à tous les enseignants,
ce qui implique de passer le salaire de départ des jeunes au-dessus de 2000 euros nets, en
2023 ». Mais, qu’en est-il des enseignants en milieu ou en fin de carrière ? Auront-ils droit,
eux aussi à une augmentation substantielle largement méritée, ou devront-ils se contenter
du second mode de revalorisation, à savoir celui qui sera « conditionné à des tâches

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nouvelles » ? Cette seconde partie, qui semble vouloir dire que pour gagner plus, il va
falloir travailler plus, ne tient absolument pas compte de la fatigue, pour ne pas dire de
l’épuisement, de plus en plus d’enseignants, qui ne trouvent même plus le temps de se
consacrer correctement à leur famille, tant leur métier est devenu lourd et envahissant, à
cause de tâches qui n’ont cessé de se multiplier. Sur ce sujet, nul doute que les syndicats,
avec lesquels le ministre dit vouloir renouer le dialogue, ne seront pas d’accord. Les salaires
doivent être augmentés sans condition, et les 3,5% d’augmentation du point d’indice des
fonctionnaires annoncés sous peu ne suffiront pas à combler des années de dégringolade
de notre pouvoir d’achat, et donc de fragilisation de notre niveau de vie !
Un autre point, qui n’est en rien acceptable, est celui des remplacements. « Nous voulons
faire en sorte qu’une absence du professeur d’histoire-géographie, par exemple, soit
compensée par son collègue, disons, de français. Mais attention, pas pour que le
professeur de français fasse de l’histoire-géographie ! Il utilisera ces heures pour faire une
double dose de français et, quand le collègue d’histoire géo reviendra, il compensera en
prenant sur les heures de français », a expliqué M. Ndiaye, dans le Parisien. Tout d’abord,
c’est méconnaître la complexité des emplois du temps, qui ne permettront
qu’occasionnellement de telles correspondances (à double sens de surcroît), surtout en
lycée avec les multiples groupes occasionnés par la réforme Blanquer. M. Ndiaye semble
ignorer que les professeurs n’ont pas qu’une seule classe et qu’ils ont cours avec d’autres

élèves, pendant les absences de leurs collègues ! Par ailleurs, depuis quand demande-t-
on, en France, à quelqu’un de malade, quel que soit son métier, de rattraper ses heures ?

C’est inacceptable et contraire au droit du travail. Il faudra rapidement revenir sur cet
impair.
Parmi les autres thèmes abordés, dans son interview fleuve, M. Ndiaye parle également des
« temps de formation, qui sont une raison des absences devant la classe » et envisage de
les mettre le mercredi après-midi !! Apparemment, il semble échapper au ministre que ce
temps est très souvent utilisé pour préparer les cours et corriger les copies, voire pour
profiter un tant soit peu (lorsque c’est possible) de nos vies de famille. Ce métier accapare
déjà bien des soirées et bien des week-ends à nombre d’enseignants, en rajouter n’est sans
doute pas de nature à leur redonner le sourire et l’envie. A force de tirer sur une corde, elle
finit par céder…
Concernant l’épineux problème des tenues religieuses à l’école, M. Ndiaye a concédé que
le phénomène est en augmentation. Il a rappelé que ces tenues sont proscrites dans la loi
de 2004 sur les signes religieux ostensibles et que s’il est avéré qu’un élève est dans une
démarche religieuse, en vertu de cette loi, cela peut aller jusqu’au conseil de discipline.
M. Ndiaye dit vouloir renouer le dialogue avec les organisations syndicales. Nous ne
demandons pas mieux, mais demandons à voir. Si c’est juste pour nous annoncer ce qui a
déjà été décidé en amont, comme le faisait son prédécesseur, cela ne sert à rien. Si, en
revanche, c’est pour écouter les propositions, débattre et essayer de faire avancer les choses
dans le bon sens, alors nous nous tiendrons à sa disposition…

 

Texte repris d’A&D Dijon