Nous sommes également responsables !

Le constat est quasiment le même partout : de plus en plus d’élèves sont en
difficulté, voire en très grande difficulté, ne maîtrisant pas les bases qui leur
permettraient de suivre les cours dans de bonnes conditions ; quasiment tous les
enseignants déplorent le manque de travail à la maison de leurs élèves et les
lacunes qui, forcément, s’accumulent année après année. Le niveau de certains est si
faible qu’ils ne comprennent même plus une consigne simple ou un texte, si on peut
toutefois considérer qu’ils savent lire, alors qu’ils buttent sur un mot sur trois. Le
récent rapport de l’Inspection générale de l’éducation, organe dépendant du
ministère de l’EN, publié le 27 mai, établit qu’environ un jeune sur dix éprouve de
fortes difficultés en lecture et que 5 % des jeunes de seize ans peuvent être
considérés comme illettrés ! Il suffit pour bien mesurer l’ampleur du problème de
lire quelques copies de Brevet ou de Bac, où les fautes de grammaire, de syntaxe et
de logique sont souvent si nombreuses qu’on ne comprend même plus ce que l’élève
a voulu dire.
Les évaluations internationales ne cessent également de pointer du doigt la faiblesse
de nos élèves, tant au niveau du français que des mathématiques et des sciences, ce
qui est cohérent par rapport à ce que les enseignants constatent chaque jour dans
leurs classes. Et pourtant, les résultats au Brevet des collèges et au Baccalauréat
atteignent des scores jamais égalés. Comment est-ce possible ? Eh bien, en
remontant artificiellement les notes obtenues par les candidats, afin de cacher le
désastre. C’est ce qui est en train de se passer pour les copies du Bac 2022.
L’Éducation Nationale ne s’est-elle pas peu à peu perdue dans le pédagogisme,
l’idéologie, la démagogie et le pas de vague, jusqu’à en oublier ses fondamentaux ?
➢ Le pédagogisme, qui a pourtant fait trop souvent la preuve de son inefficacité,
pour ne pas dire de sa nocivité. Il suffit, pour ne citer qu’un exemple, de se
rappeler de la méthode globale, qui avait été imposée aux enseignants de
primaire, dont bon nombre avaient compris, dès le début, les effets délétères
que celle-ci ne manquerait pas d’avoir et qu’elle a eus. On pourrait également
longuement épiloguer sur la classe inversée ou les travaux de groupe, où tout
le monde a la même note (parfois même lorsque l’élève est absent)…
L’institution ne sait désormais qu’imposer des façons de faire et des
programmes, mais n’écoute plus ses enseignants qui sont pourtant des

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spécialistes, dont le savoir et le savoir-faire mériteraient d’être reconnus à
leur juste valeur.
➢ L’idéologie, jusqu’à en oublier la mission première de l’école, à savoir
permettre à chaque élève de développer au mieux ses capacités, par le travail,
le mérite et l’effort, pour trouver sa place dans la société et devenir un(e)
citoyen(ne) responsable. Aujourd’hui, on nous abreuve de formules toutes
faites comme « l’école de la confiance et de la réussite », alors que nous n’en
avons jamais été aussi éloignés. Il ne suffit pas de décréter quelque chose,
pour que ce soit de fait une réalité. Nous assistons à un appauvrissement
inquiétant du vocabulaire, de la culture et du niveau de connaissance de
nombre de jeunes. Les écarts ne cessent de se creuser, au grand désespoir des
enseignants. Un rapport de L’Inspection générale de l’éducation, datant du 16
mai, dénonce le creusement des inégalités et les écarts abyssaux de niveau des
CM1-CM2, d’un département à un autre, voire d’un établissement à un autre.
Mais, où est donc passée l’égalité des chances ? L’école ne joue t-elle plus son
rôle d’ascenseur social, comme elle le faisait jadis ? Comme le dit René Chiche,
professeur de philosophie de l’académie d’Aix-Marseille, dans son livre paru en
2019, nous sommes face à une véritable « désinstruction nationale » et
l’institution ne veut manifestement pas en prendre la mesure.
➢ La démagogie qui, d’après le dictionnaire, est une politique qui consiste à
flatter l’égo d’une personne, dans le but d’obtenir son adhésion et qui n’est en
fait rien d’autre qu’un mensonge. C’est pourtant bien ce qu’on nous demande
de faire et qu’hélas, de plus en plus de nos collègues font, parfois même sans
s’en rendre compte. C’est en apparence plus simple ; lorsque les élèves
obtiennent de bonnes notes, même s’ils n’ont pas fait grand-chose pour les
mériter, cela évite d’avoir des reproches de la part des parents ou de la
direction lors des conseils de classe. Mais il serait naïf de croire que tout le
monde est dupe, bien au contraire. Ceux qui n’ont pas cédé aux sirènes de la
démagogie et qui ont continué à enseigner avec exigence et bienveillance, qui
sont les deux faces d’une même pièce, le savent bien. Ce sont souvent ceux-là
qui gagnent le respect de leurs élèves et qui maîtrisent le mieux leurs classes,
ce sont ceux-là en qui les parents, conscients de l’importance de l’école pour
l’avenir de leurs enfants, placent toute leur confiance. Il y a déjà pas mal
d’années, pour encore mieux cacher la réalité, on nous a sorti du chapeau les
compétences, soi-disant plus motivantes et moins stigmatisantes. Depuis le
temps que nous les pratiquons, le niveau des élèves n’a pourtant pas amorcé
le moindre redressement. Ne seraient-elles donc pas efficaces ?
➢ Le « pas de vague », qui consiste à donner plus facilement raison aux parents,
voire aux élèves, qu’aux enseignants, même si cela les discrédite, qui consiste
à mettre la poussière sous le tapis, dès qu’un problème ou un incident
pourrait provoquer quelque agitation dans les médias. Les exemples seraient
tellement nombreux que nous ne nous attarderons pas sur ce sujet pour le
moment. Mais, ce « pas de vague », sur des sujets aussi sensibles que la
laïcité ou les incivilités a un effet des plus délétères et ne fait qu’affaiblir peu

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à peu les enseignants et l’Éducation Nationale elle-même. Nous nous
éloignons de plus en plus du « sanctuaire » que cette dernière fut jadis.
Face à ce constat si préoccupant qui démotive et désespère tant de nos collègues,
que fait donc notre institution ?
Les classes sont de plus en plus surchargées, mettant les enseignants dans
l’impossibilité d’aider efficacement les plus fragiles, l’absentéisme de certains jeunes
est de plus en plus criant, mais il ne se passe pas grand-chose pour les faire revenir,
les élèves passent inexorablement dans la classe supérieure, même si tout le monde
sait qu’ils ne pourront pas suivre l’année suivante… Certains se battent contre cet
état de fait, mais on ne les écoute plus. Ils s’entendent souvent répondre que de toute
manière, il n’y a pas d’autre choix et que c’est aux enseignants d’adapter leurs
enseignements, au nom de la sacro-sainte différenciation pédagogique ! Pour
couronner le tout, au nom de la non moins sacro-sainte inclusion, on nous rajoute
de-ci de-là des élèves aux profils complexes, sans que nous ayons vraiment les
moyens de leur apporter l’attention dont ils ont légitimement besoin.
Nous autres enseignants ne devons pas perdre de vue que les élèves ne savent pas,
qu’ils n’ont pas conscience, sans l’éclairage des adultes, des conséquences que
peuvent avoir à terme leurs manquements. Ils ont besoin d’être instruits, guidés,
éclairés, conseillés. C’est notre rôle !
Au lieu de cela, ils ont face à eux un système qui ne présente plus ni risque, ni enjeu
visibles. Quel que soit leur manque de travail, d’investissement et de motivation, ils
passent dans la classe supérieure et ils l’ont très bien compris. Quel que soit leur
niveau, arrivés en fin de troisième, ils peuvent demander à aller en seconde générale,
les professeurs n’étant plus autorisés qu’à formuler un avis. Et le pire, dans tout cela,
c’est que les premières victimes de ce système sont justement ceux que les
démagogues prétendent aider, à savoir les plus fragiles, ceux qui n’ont pas la chance
d’avoir des parents derrière eux pour les aider, leur offrir des cours particuliers si
nécessaire, les recadrer lorsqu’ils ne font pas leur travail correctement, autrement dit
ceux qui n’ont pas la chance d’avoir des parents susceptibles de pallier les
insuffisances et mensonges de l’Éducation Nationale ! Les jeunes ont besoin de
limites et d’enjeux, sans quoi, ils avancent en aveugles, sont perdus et ne trouvent
plus ni la motivation, ni l’intérêt de l’effort et du travail.
Nous leur devons la vérité. C’est notre devoir ! Même si ce n’est pas toujours facile à
entendre, même si surmonter des difficultés demande des efforts sur le long terme,
nous avons le même devoir de vérité qu’un médecin vis-à-vis de ses patients. Celui
qui sauve la vie d’une personne gravement malade n’est jamais celui qui lui ment.
La démagogie n’est qu’un mensonge et ce qu’on ose appeler « bienveillance » est en
fait souvent de la malveillance à long terme. Il suffit pour s’en convaincre de regarder
le nombre d’élèves qui échouent au-delà du Bac (plus de la moitié, un record
européen !). La vraie bienveillance consiste à aider nos élèves à surmonter leurs

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difficultés, une fois celles-ci identifiées, en les conseillant, en les encourageant, mais
nous ne pourrons jamais travailler et faire les efforts nécessaires à leur place.
Alors, soyons tous acteurs de la réussite de nos élèves et n’oublions jamais que nous
avons notre part de responsabilité dans ce qu’ils deviendront demain ! Il nous
appartient de dire non à la démagogie, au nivellement par le bas, au renoncement.
Il nous appartient de garder le cap de l’exigence, de l’effort et du mérite. Ne
participons plus au mensonge ! Nos élèves ont droit à la vérité, pour garder toutes
les chances de réussir.
Si nous ne le faisons pas, à force de faire croire aux jeunes qu’ils ont un niveau qu’ils
n’ont en fait absolument pas, on assistera de plus en plus à des scènes aussi ridicules
et inquiétantes que celles que nous avons vues récemment, lors du bac de français,
où des élèves, qui n’avaient pas compris le texte de Sylvie Germain, pourtant pas bien
compliqué, s’en sont pris vertement à l’auteur, sur les réseaux sociaux, avec une
violence inouïe ! Demain, lorsqu’ils échoueront, puisqu’ils n’auront jamais appris à
surmonter des obstacles, puisque la frustration ne fera pas partie de leur logiciel,
puisqu’ils ne pourront pas admettre avoir un niveau de français digne d’un élève de
sixième, ils s’en prendront à leurs enseignants, qui seront des coupables tous
désignés. A méditer…

Texte initial A&D Dijon